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Nous publions une newsletter une à deux fois par année, composée d’informations pratiques et culturelles ainsi que d’un éditorial.
★ Editorial 2024 Murmures
« Il nous faut écouter l’oiseau au fond des bois, le murmure de l’été, le sang qui monte en soi ». Jacques Brel.
Le vivant vibre encore, savons-nous le regarder ? Le vivant s’exprime alors dans le murmure des oiseaux, les regards furtifs, des tremblements, la beauté, la simplicité, les caresses. Il nous faut lui prêter notre attention.
Au-delà des symptômes, des souffrances, des plaintes, des silences et des cris de nos patients, savons-nous écouter le vivant dans les murmures de leurs gestes, dans celui de leurs créations en art-thérapie ? Savons-nous y voir la beauté du vivant, qui souvent n’est qu’un murmure prudent, méfiant, offert, natif, inconscient, involontaire, une pulsation qui vient du fond de leurs tréfonds, le sang qui monte en soi, le flux de la vie qui nous habite.
Le murmure est une expression minimale, à peine perceptible, elle est destinée à offrir un aspect essentiel de soi dans un climat d’intimité. La rivière murmure de son élan au promeneur, l’amoureux murmure ses mots d’amour et de tendresse à son amante, le rêveur murmure à lui-même dans son entre-sommeil. Ce qui est donné dans le murmure est à peine exprimé mais pleinement offert. Il y faut un récepteur attentif. Le murmure implique une attention généreuse, confiante, une promesse d’écoute, une présence. Il faut au murmure une écoute murmurante, une écoute aux oreilles doucement ouvertes jusqu’au cœur. C’est une socialité intime, affective.
Le murmure c’est aussi celui d’une foule, qui bruisse de mots à peine audibles, de mots banals ou qui se méfient, de mots qui imaginent plus qu’ils ne disent, qui travestissent plus qu’ils ne cherchent une vérité. Le murmure de la rumeur. La rumeur qui se transmet en sous-entendus, en presque dit, en je te fais imaginer. Le complot également, se transmet par ouï-dire, par sous-entendus, par cachoteries, par demi-mensonges avant d’éclater au grand jour et d’emporter les foules crédules. L’un dit, l’autre entend ou croit entendre, il ajoute de grands pans de son imagination, et une pensée se transmet, transformée sans cesse jusqu’à perdre le contact avec la signification profonde du mot pensée. Une socialité de foule.
Le murmure c’est encore ce vol accordé et en transformation constante de groupes d’oiseaux qui crée, par leur grand nombre, des formes aléatoires dans le ciel d’hiver ou de printemps. Ce murmure fait aisément naitre un sentiment de beauté ; les formes se transforment sans aucune volonté globale, un oiseau initie un geste différent, ses voisins s’accordent à ce geste et la transformation se répand dans la nuée de centaines d’oiseaux dans des fractions de fractions de seconde. Une autopoïèse. Ainsi les oiseaux volent ensemble, préparent des migrations ou développent une forme de socialité grégaire archaïque, gestuelle. Nous, à distance, voyons une forme globale, une nuée.
Les formes qui naissent en art-thérapie se développent ainsi, elles naissent d’un geste existentiel du patient, le thérapeute les reçoit, il y résonne d’une résonance ancienne, immédiate, non-pensée, il rend au patient des gestes, des regards, des mots, parfois des créations également. Et la création du patient évolue en résonance également. Sans que l’un ou l’autre n’ait à comprendre, même si parfois ils le font, les formes se métamorphosent et donnent du sens à la relation thérapeutique, à l’existence du patient. Ces formes, en transformation continue, mobilisent la créativité des partenaires et laissent des traces d’émois, d’imaginaire, de sentiment de beauté, de sens à la vie, de qualité de contact au flux du vivant. Comprendre ce qui se passe n’est pas important, dans sa forme savante et intellectuelle, mais prendre ensemble les métaphores artistiques est essentiel. Ce sont des murmures poïétiques.
Jacques Stitelmann
★ Editorial 2023 Ecopoïesis : art-thérapie et nature
L’art-thérapie est fréquemment associée à la dimension psychique de l’existence, invitant la psychologie ou à la psychiatrie à sa réflexion. Elle est également reliée à la sphère relationnelle car se soigner et se développer dépend de la qualité des relations humaines établies avec les proches et dans le cadre professionnel. Sociologie et psycho-sociologie sont alors invitées. Elle est aussi associée à la dimension culturelle de l’existence car vivre nécessite un ancrage culturel et un sentiment d’appartenance. Une attention toute particulière est accordée à la dimension artistique.
Ces dernières années, des projets artistiques tentent de témoigner de la destructivité écologique, de la critiquer, d’imaginer des alternatives, de prendre soin de la nature ou de la sentir en soi, de se sentir partie prenante de la nature.
Depuis les années 70 du siècle passé et plus encore depuis une dizaine d’années, la dimension écologique de la vie humaine apparait au premier plan des préoccupations. L’être humain vit dans un environnement naturel sensible qui peut être mis à mal par ses activités. Cet environnement peut être détruit, abimé ou fortement influencé pat la manière avec laquelle les humains y déploient leurs activités. Comme dans la maladie, nous devenons conscients de cet environnement par son manque et son déséquilibre.
S’il est possible de souffrir de cet environnement malade, pollué, appauvri, il est également possible d’y trouver des ressources pour le déploiement social, culturel et personnel lorsqu’il est équilibré et respecté dans sa diversité et sa vivacité. Lorsque le flux du vivant peut le traverser et s’y répandre, il peut atteindre l’homme et se déployer dans ses activités et sa pensée plus aisément.
La place de la nature comme constituante de l’identité humaine, sociale et culturelle apparait de plus en plus souvent dans les formes de souffrances exprimées par nos patients, particulièrement les jeunes. Face à l’impact destructeur de l’humanité sur la nature, une forme d’anxiété nouvelle a été définie : la solastalgie ou éco-anxiété. La perception de la destructivité humaine issue de rapports utilitaires, abusifs, de domination, irrespectueux de la diversité et de la vie entrave aujourd’hui le sentiment d’appartenance à notre environnement écologique, social et culturel.
Si le sentiment de se sentir vivant peut-être atteint par une telle situation, il est possible de le stimuler, d’en prendre soin, par l’introduction d’un rapport sain et vivant à la nature, notamment en art-thérapie.
Dans ce sens, L’ATELIER propose des ateliers land art depuis une trentaine d’année. De plus en plus d’art-thérapeutes introduisent des moments créateurs en nature ou avec des objets naturels, et ceci aussi bien en danse, en musique, en théâtre ou en arts plastiques. Des dispositifs nomades sont parfois proposés invitant les participants à établir un contact sensible avec la nature par le dessin, l’écriture et mener ainsi une démarche formatrice ou thérapeutique.
Cette thématique est au centre de notre programme de formation continue 2023. Les formateurs sont invités à porter une attention au rapport à la nature dans leurs dispositifs pédagogiques et thérapeutiques en plus des thématiques qui leur sont propres.
Nous espérons faire la promotion de cette eco-poiesis, c’est-à-dire de la création dans et avec la nature : création d’œuvres, de socialité, d’humanité et d’écologie.
Jacques Stitelmann
★ Editorial 2022 Flair
Le flair, lié à la fois à l’odorat et à l’intuition a inspiré le thème de l’année. Il se réfère à une modalité, l’odeur, encore peu étudiée en art-thérapie et pourtant riche de vécus quotidiens et de pistes thérapeutiques. Il se réfère aussi à une certaine aptitude à sentir juste, à percevoir de manière intuitive les partenaires et à choisir avec sensibilité les bonnes réponses aux aléas de l’existence.
L’odeur est culturellement liée à la vie et à la mort. Dans la mythologie grecque, les animaux et les humains sont mortels car ils se nourrissent de cadavres puants, alors que les dieux sont immortels car ils hument de l’ambroisie. Dans le Cantique des Cantiques, le roi Salomon exprime son amour et sa passion, entre autres sens, par des odeurs évocatrices et attrayantes.
Le parfum est souvent porté pour sa force évocatrice d’une identité, d’une personnalité, d’une relation singulière. On dit que l’odeur guide nos choix sensuels et amoureux.
Le sens de l’odorat fait appel à des parties anciennes du cerveau. Lors de troubles et accidents vasculaires cérébraux, l’odorat est un des sens qui reste accessible à la relation d’accompagnement, et des art-thérapeutes s’en servent pour engager un processus créatif. Des souvenirs, des images, sont éveillés par le contact avec certaines odeurs. Nommer une odeur est en revanche souvent difficile, le mot semblant être éloigné de la sensation odorifère.
L’odeur mobilise, plus qu’aucun autre sens, l’orée du corps, entre le dedans et le dehors, ressentie par la simple respiration. Des films comme « Le festin de Babette », « Le parfum », ou encore « Chocolat », déploient des vécus et relations liés aux odeurs.
Le flair est la capacité animale de percevoir les odeurs. Certains animaux possèdent des capacités d’odorat phénoménales. Le contraire du flair est l’aveuglement ! A l’odorat qui permet de sentir juste, on oppose la vue, qui conduirait à se tromper.
Le flair est alors cette aptitude à aller au cœur de la vérité sans être distrait ou illusionné par les brillances et les coloris chatoyants de l’intellect et du savoir. Situé dans le temps présent et le lieu d’ici, le flair nous guide pour sentir le vivant et nous mettre dans son sillage, dans sa trace, sa piste. Le flair est à l’odeur et à la perception de la vie ce que le kaïros est au temps. Le flair permet de sentir plus que de comprendre ou d’expliquer. Il permet de sentir la qualité de la pulsation de la vie, bonne ou mauvaise, et d’offrir intuitivement une réponse sensible, une présence adaptée.
Le flair est une sorte de radar ou de GPS qui nous permet de nous diriger de manière créative et juste dans l’entrelacs des possibles. En thérapie, le flair permet au thérapeute de sentir et d’offrir à son patient une écoute sensible, accompagnante, stimulante, ouverte vers le déploiement créatif de sa vie.
On peut souhaiter que l’art-thérapie, qui rassemble science et art, soit dotée de qualités sensibles et intuitives tout autant que de qualités logiques, rationnelles et intellectuelles.
L’ATELIER fête ses 30 ans d’existence cette année. La rationalité et le flair nous ont guidés tout au long de ce parcours, que ce soit dans l’accompagnement thérapeutique, dans la structuration et la présence pédagogique ou dans les activités de gestion. Espérons que nous serons à l’avenir toujours habités par ce couple d’aptitudes et que nous saurons les écouter avec amour et attention afin de tracer un cheminement encore long dans les méandres d’un monde complexe et souvent chaotique.
Jacques Stitelmann et Soômi Dean
★ Editorial 2021 Cabane
Construite de manière sommaire et rudimentaire à partir de matériaux banals trouvés sur place ou de matériaux de récupération détournés et ingénieusement assemblés, la cabane invite à prendre distance avec les activités humaines courantes. Avec ses ouvertures sur le ciel et la nature, elle invite à ouvrir en soi des espaces de rêverie. Elle protège pour un temps des intempéries. Elle nous laisse sentir le monde et le temps qu’il fait : le vent la traverse un peu, la lune et les étoiles en éclairent l’intérieur.
La cabane est une maison de passage, de voyage, un espace-temps de retrait.
Presque tous les enfants du monde et bien des adultes ont bâti des cabanes et joué dedans et alentour, durant des heures, des jours. Les peuples nomades en construisent régulièrement, de même que les éleveurs en transhumance. De nombreux penseurs, artistes ou scientifiques ont bâti ou fréquenté des cabanes. Les philosophes Thoreau et Wittgenstein par exemple, ont vécu de longues périodes dans des cabanes, pour s’y accorder au monde et s’y relier à eux-mêmes. Des auteurs de l’art brut et singulier ont construit des cabanes comme des œuvres à habiter, à la fois objet, lieu de création et lieu de vie.
De la même manière que l’on construit et habite la cabane différemment d’une maison, on construit et habite le cadre d’un atelier d’art-thérapie différemment du cadre de la vie quotidienne.
La cabane est un lieu du sentir ; du sentir le monde et du sentir en soi ; un lieu du re-sentir, lorsqu’on a oublié de sentir trop longtemps ou lorsqu’on n’a plus su ou plus pu sentir. Elle est un lieu où le corps y est mobilisé différemment de ce dont on a l’habitude. Elle est aussi un lieu du retrait, de la marge. On s’y retire et on y trouve un nouvel élan. On s’y isole et on se surprend à s’ouvrir. Elle permet de s’offrir à soi et aux autres avec ses fragilités, ses failles, ses brisures et surtout dans l’ouverture à la vie et à la découverte du nouveau.
Elle est un lieu du jeu dans lequel on s’engage d’autant plus pleinement et authentiquement que l’on sait que ce n’est pas la vraie vie, celle avec laquelle on doit s’accommoder au quotidien. L’imaginaire s’y développe. On s’y raconte des légendes et des contes, des personnages y prennent corps, des histoires se trament, s’inventent.
Elle est le lieu de la rêverie. On y reprend contact avec les essentiels de l’existence. On y médite des idées nouvelles, on y met en mouvement les questions ouvertes, les problèmes de la vie au travers du travail des matériaux. On y pense avec les mains.
Une cabane n’est jamais finie. Elle est en transformation permanente tout comme l’être humain, comme la vie. On y rejoue l’ajustement au monde. L’outil et l’objet créé se confondent. Elle est lieu de liminalité, zone de passages de la vie des humains qui s’en occupent… elle est transitionnelle.
Ainsi, toutes les qualités spécifiques de la cabane rejoignent celles d’un atelier poïétique. La cabane est le lieu de l’œuvre ouvrante.
Jacques Stitelmann .
★ Editorial 2020 Pieds
Le pied est-il une partie du corps oubliée en art-thérapie ? Pourtant où que nous allions, ils nous y emmènent ! La langue française nous indique l’importance de ce membre dans la symbolique et dans le déploiement de l’existence humaine. Ainsi dit-on : avoir bon pied bon œil » ; « se lever du pied gauche » ; « enlever l’épine du pied à quelqu’un » ; « jouer comme un pied » ; « avoir un pied dans la tombe » ; « faire un pied de nez » ; « couper l’herbe sous les pieds » ; « trouver chaussure à son pied » ; « faire le pied de grue » ; « avoir le pied lourd » ; « prendre son pied » ; « être bête comme ses pieds » … Mais les pieds ne sont pas bêtes, nous disait Jacques Prévert, dans son poème Ma maison :
… Je ne faisais rien
C’est-à-dire rien de sérieux
Quelquefois le matin
Je poussais des cris d’animaux
Je gueulais comme un âne
De toutes mes forces
Et cela me faisait plaisir
Et puis je jouais avec mes pieds
C’est très intelligent les pieds
Ils vous emmènent très loin
Quand vous voulez aller très loin
Et puis quand vous ne voulez pas sortir
Ils restent là ils vous tiennent compagnie
Et quand il y a de la musique ils dansent
On ne peut pas danser sans eux
Faut être bête comme l’homme l’est si souvent
Pour dire des choses aussi bêtes
Que bête comme ses pieds…
Nous vous invitons cette année à prendre votre pied, à jouer comme des pieds malins, à danser de vos pieds, à libérer vos pieds et poings liés, à découvrir l’intelligence sensible des pieds et à découvrir, le pied marin, les inconnus de vous-même et du monde autour de vous.
Jacques Stitelmann et Soômi Dean
★ Editorial 2019 L'art pionnier
Selon la métaphore du pionnier qui découvre de nouveaux territoires, les défriche et les rend productifs et propices à la vie, l’art pionnier est un art où le créateur se découvre au travers d’une œuvre qu’il crée et des processus aventureux de sa mise en œuvre.
Donnant naissance à une œuvre, le créateur redécouvre des aspects de lui réprimés dans ses lointains intérieurs, il sent advenir des aspects inconnus de sa personne, il mobilise des ressources insoupçonnées qui lui permettent de déplier son existence, de la déployer au-delà des limites qu’il croyait sentir. Lorsque cette création est pratiquée avec un accompagnement réflexif, cela permet même de soigner les blessures psychiques et les souffrances existentielles qui entravaient son sentiment d’exister.
Dans l’art pionnier, le créateur ne vise pas tant une œuvre destinée à enrichir la culture et l’histoire de l’art, il sait que l’impact de sa création se situe plus en lui-même et dans ses rapports à ses proches. Il se livre pourtant au processus poïétique de l’œuvre en train de se faire en s’oubliant, en offrant géné-reusement ses potentialités à cet advenir sensible de l’œuvre. Et c’est justement enraciné dans cet oubli de soi que se mobilisent les forces de vie, la croissance des potentiels et que s’enclenche la guérison. Dans un second temps, le créateur se met à l’écoute de l’œuvre, la reçoit dans son unicité et sa singularité et revient à lui en tissant, élaborant et dépassant ses grands questionnements existentiels.
L’art pionnier est un art d’existence qui part loin devant soi. Lorsqu’il revient à soi, il indique un chemin : celui que pourrait emprunter le créateur pour réaliser son imprévisible destinée.
L’art pionnier en appelle d’une attitude d’ouverture sensible et esthétique, au sens de sentir son rapport au monde et de s’appuyer sur ce jugement du sensible pour réaliser une création. Ce n’est pas un art de savoir ou de concept intellectuel, c’est un art de découverte, d’aventure et d’ouverture.
L’art pionnier est le type d’art pratiqué en art-thérapie, c’est l’art de la poïétique, où le faire œuvre est aussi important que la forme finale ou le destin de l’œuvre. Ce faire œuvre y est la création de sa propre vie : développement, déploiement, maturation, soin, guérison.
L’art pionnier possède des liens avec « l’art brut », dans le sens que les créateurs ne sont en général pas formés comme artistes et créent en inventant les techniques qui leurs sont utiles. En outre, leur œuvre nait à distance des canons des systèmes commerciaux de l’art et n’est en principe pas destinée à y trouver place.
L’art pionnier possède des liens avec « l’art cru », ou « raw art » dans le sens d’une certaine crudité du contenu et de la forme de l’expression où le créateur apparait souvent à vif. C’est un art novice où sont mobilisés des processus situés hors des techniques reconnues et des normes culturelles, non cuite par elles, en mobilisant des matières premières non encore exploitées de la personne.
L’art pionnier possède des liens avec « l’art singulier », dans le sens où la singularité du processus d’invention est au centre de l’exercice créateur et donne un effet de bizarrerie et de surprise. C’est par là un art qui s’appuie sur l’unicité du créateur et qui chérit cette unicité de tout cheminement existentiel.
Jacques Stitelmann
★ Editorial 2018 Le rythme
Lorsque le flux de l’expression se déroule,un certain rythme habite les formes naissantes et leur advenir. Qu’importe le matériau ou l’art choisi, leur confluence avec le créateur, lorsqu’elle est vivante, se déploie en un certain rythme.
Présence et absence, concentration et dilution, lenteur et rapidité, régularité et syncope… Le style du créateur se marque au rythme de son expression, tout autant qu’aux figures qui apparaissent ou au degré d’imagination ou de ludicité qui habite le processus de transformation. Le rythme singularise la création ainsi que la transformation des œuvres et du créateur.
Jacques Stitelmann
★ Editorial 2017 Regards
« Il y a des yeux grands ouverts au secret des yeux fermés » Yves Bonnefoy
A l’orée du monde et de soi : le regard. Aller à la rencontre du monde, s’entrelacer à lui, offrir regard et attention, manger des yeux, regarder sans voir, taper dans l’oeil, voir en profondeur, regarder sans croire qu’on a déjà vu. Et tout ça, ça me regarde !
Alors, les regards, ceux que l’on porte sur le monde, ceux que l’on porte sur l’oeuvre des patients, ceux que les patients portent sur leurs oeuvres et sur nous, ceux que les oeuvres portent sur nous, en nous rendant visible l’invisible, en nous « rendant le visible » (P. Klee).
Voir avec les yeux, avec les mains, avec les yeux ou mains de l’autre, avec le nez, les pieds ; se voir avec le regard de l’autre. Garder, veiller, prendre soin par son regard attentif et attentionné, le regard qui tue du combattant, le regard perdu sans espoir de l’affamé, le regard vide du consommateur de drogue, le regard certain de l’intégriste, le regard scalpel du scientifique, le regard de rapace du financier,… tant de regards.
★ Editorial 2016 L’état de poésie
La science crée dans un processus rationnel inspiré, l’art dans une démarche imaginaire rigoureuse. Tous deux ont besoin d’un état de poésie, tous deux sont actifs au coeur de l’art-thérapie.
Du Cantique des Cantiques à Gainsbourg, du Roi David à Lady Gaga, la poésie habite la pensée humaine d’un vent frais novateur, émerveillant et jouissif.
Les mots disent les choses du monde, les pensées et les émois de l’existence humaine ; en les disant, ils les transforment. Parfois cette transformation est une déformation mensongère et travestie, parfois elle est vérité sur l’existence humaine : le devenir et la transformation continue ! Ces mots-là ouvrent plus qu’ils ne cernent, ils commencent plus qu’ils ne dé-finissent ; ils ont plus de corps et de chair que de signification, ils assemblent corps, esprit et émotions par le fil de l’imaginaire. Ils sont donc souvent paroles, gestes, danse, dessin, peinture, chant ou jeu. L’état de poésie est celui où nait l’existence humaine.
Lorsque l’existence est souffrante, malade ou incomplète, l’état de poésie permet de relancer le processus de transformation.
★ Editorial 2015 La main
Après le visage, la main est choisie comme thématique de l’année 2015. La main, cette partie essentielle du corps pour contacter le monde environnant est présente dans un grand nombre de processus de création et de situations existentielles.
On dit « prendre en main » une situation, « se prendre en main », « tendre la main » à un ennemi pour se réconcilier ; on se serre la main pour se saluer, on lève la main pour se dire bonjour ou au revoir, pour appeler, pour montrer. On utilise la main pour compter, pour se gratter le nez ou l’oreille, pour se toucher ou toucher avec tendresse ou haine les autres, pour écrire, pour dessiner, pour lire un livre, pour manger,… La finesse de la rencontre avec le monde se passe en partie par la main, sensible, impressive, forte, sûre ou hésitante, elle nous permet de modeler nos rapports à l’existence.
★ Editorial 2014 Visages
L’art-thérapie : trois partenaires au moins. Le patient, le thérapeute et l’œuvre.
Le visage, partie nue (et pourtant voilée de mimiques, rides, fard…) de la personne est situé au milieu de notre triple rencontre. D’Emmanuel Levinas, nous avons appris que notre responsabilité envers autrui naissait à l’interface de nos visages. Nous nous dévoilons et nous découvrons à nous envisager. Et voici que l’œuvre, surprenante, nous questionne et nous dévisage elle aussi. L’œuvre a-t-elle un visage ? Est-elle un visage ? Celui de ce qui peut advenir ?
Ma responsabilité esthétique envers l’œuvre, envers son altérité vivante, est-elle aussi éthique ? Cette responsabilité résulte de ce que l’œuvre me regarde, si je sais lui offrir accueil respectueux et aimant dans mon propre regard et dans les regards échangés entre patient et thérapeute. L’œuvre nous permet de nous connaître et de nous envisager autrement. Alors peut survenir la transformation : art et thérapie.
★ Editorial 2013 L’œuvre et le créant
Cette année, notre thématique porte sur un aspect théorique de l’identité professionnelle des art-thérapeutes. En effet, en art-thérapie existent deux grands courants qui, parfois, s’opposent de manière conflictuelle, l’un mettant en avant le processus de transformation de la personne, le patient, et l’autre mettant en avant le processus de création artistique de l’œuvre.
Nous soutenons l’idée que ces deux points de vue ont une place légitime dans notre profession et qu’au fil de l’accompagnement, l’art-thérapeute priorise alternativement l’une au l’autre dynamique.
Notre méthode permet même de mettre au centre de l’accompagnement le patient et son propre point de vue, sa psyché, son mode relationnel, sa logique existentielle, tout en honorant le processus de création artistique et l’œuvre, comme un processus essentiel de la vie. C’est lorsque ces deux logiques s’allient respectueusement qu’une véritable art-thérapie, une poïétique, peut exister.
★ Editorial 2012 La fête
Deux approches complémentaires sont pratiquées en art-thérapie. L’une aborde de front ce qui pose problème : symptôme et causes de la souffrance. Les art-thérapeutes sont orientés alors vers maladie, handicap et manque à vivre qui motivent le participant dans sa demande.
Une autre dynamique consiste à se décentrer des aspects souffrants pour laisser l’expérience créative ouvrir des espaces existentiels différents. Dans ce cas, l’exploration créative, au lieu d’être essentiellement colorée des affects de tristesse, de douleur ou de solitude, se colore également de surprise, de joie et de partage festif.
Cette année, la 20e de L’ATELIER, nous mettons en avant la fête, ce phénomène où les humains transcendent de manière communautaire les limites individuelles et celles attachées aux souffrances de l’existence. C’est ainsi que peut survenir la transformation humaine dans une réjouissance et une joie partagée, au travers des douleurs exprimées et de leur dépassement.
★ Editorial 2011 Mémoire et transmission
Le fil-rouge de l’année marque notre intérêt pour les capacités indissociables de mémoire, d’oubli et de transmission. Les grands événements de nos existence demandent à être mémorisés afin qu’ils nourrissent le sens que nous donnons à notre vie et nos choix. Mais ils demandent également, dans le même temps, à être oubliés, c’est-à-dire à être relégués dans un arrière-plan de nos consciences et de notre attention. Ils participent alors à former un terreau vivifiant dans lequel nos actions présentes s’enracinent.
De même, mémoire et oubli sont actifs dans la transmission intergénérationnelle. Cette transmission peut être facilement mise à mal lorsque des événements traumatiques ont surgi, entraînant cristallisation mémorielle ou oubli aveuglant et malheureux. Chaque génération produit des légendes, des distorsions de la réalité, des exagérations, des petits et des grands mensonges, au gré des potentiels psychiques et culturels ; et chaque génération, dans un effort de mémoire et d’oubli, est tendu vers la transmission des valeurs essentielles.
★ Editorial 2010 La rêverie
La thématique qui nous sert de fil rouge cette année est La rêverie.
La rêverie est un état existentiel qui assemble émotion, pensée, corps, lien social d’une manière particulièrement propice au phénomène créateur.
La rêverie permet le déploiement d’une sorte de pensée diurne du rêve dans laquelle on observe des émergences de l’inconscient, un certain retrait social, une rationalité mise en arrière-plan et des capacités ludique et imaginaire augmentées. Liée aux célèbres phénomènes transitionnels de Winnicott, elle n’évite pas la réalité, elle la façonne, elle la transforme, dans un espace où monde interne et monde externe se côtoient dans un flottement poétique.
★ Editorial 2009 Le matériau
La thématique exploratoire qui nous sert de fil rouge cette année est Le matériau.
Comme d’habitude, plusieurs ateliers vont s’orienter cette année sur cette thématique tout en déployant leurs thèmes propres. Le matériau donne à l’art-thérapie une part de son identité, différente de toute autre thérapie.
Tout développement humain se fait à partir d’actes, de pensée, de sensations, de paroles, d’inconscient. Créer c’est faire ! Disait le psychanalyste D.W. Winnicott ; et faire c’est agir sur un matériau du monde qui offre une certaine plasticité, une certaine résistance, une dynamique incontournable.
La couleur nécessaire à la peinture, la terre au modelage, le journal au collage, le son à la musique, le souffle nécessaire au chant, tous ces matériaux participent à l’œuvre autant que les idées du créateur ou que son inconscient. Le matériau est même une occasion unique de rencontrer le monde, autre que soi, de se décentrer de soi dans la matière, de se renouveler. Qu’en est-il alors des médias électroniques, des images virtuelles ?
★ Editorial 2008 La bouche
La thématique exploratoire qui nous sert de fil rouge cette année est la bouche, un des lieux principaux du corps qui réalise nos contacts au monde, organe expressif et impressif siège du goût et de la parole à la fois, matrice symbolique de bien des concepts évoquant le travail psychique et les relations humaines : manger des yeux, avaler une parole toute crue, dévorer d’amour, goûter une œuvre d’art, déguster un livre, embrasser une idée, …
Si l’idée principale de l’art-thérapie est le processus poïétique, transformation de soi et du monde, ce processus de transformation se réalise dans l’émergence de formes en plusieurs lieux de contact entre la personne et les matériaux du monde : les organes des sens, et certaines parties du corps, telles que les mains ou le visage. La bouche, très peu étudiée en art-thérapie, est un de ces lieux de contact extraordinaire, qui permet à la fois un mouvement impressif, on reçoit le monde en nous, on le goûte, on s’en nourrit ; et expressif, on émet des formes par la bouche, des sons, des chants, des cris, des mots, des pensées complexes et abstraites. Dans le baiser, les mouvements impressifs et expressifs sont liés par le désir mutuel. Plusieurs ateliers vont s’orienter cette année sur cette thématique tout en déployant leurs thèmes propres.
★ Editorial 2007 L’œuvre ouvrante
La thématique qui nous sert de fil rouge chaque année invite à considérer les productions réalisées dans nos ateliers comme étant des œuvres ouvrantes.
Ces productions artistiques conduisent les participants ainsi que leurs liens sociaux à se transformer, à se déployer, à donner corps à leurs potentiels. Elles les invitent à s’ouvrir à l’advenue d’eux-mêmes et de leur monde.
Ce ne sont pas des œuvres qui dévoilent, ni des œuvres à dévoiler. Ce ne sont pas tant des révélateurs d’une vie intérieure, relationnelle ou d’une pathologie. Ce ne sont pas non plus des équivalents de médicaments naturels qu’on prescrirait pour atteindre une santé plus harmonieuse. Les productions de nos ateliers sont des œuvres ouvertes ; selon le regard qu’on leur prête, elles recèlent des dimensions innombrables et irréductibles les unes aux autres. Plus encore, elles sont des œuvres ouvrantes, c'est-à-dire qu’elles ouvrent le créateur et les témoins de leur advenue à un avènement d’eux-mêmes. Elles ne cherchent pas tant à augmenter la connaissance, elles sont transformatrices de l’existence. Elles ouvrent à l’Ouvert de l’être, au flux de la vie ; pour peu qu’on apprenne à les écouter, à les regarder, à les respecter.
★ Editorial 2006 Un atelier comme une cabane
La thématique qui nous sert de fil rouge chaque année est cette fois celle de la cabane.
La cabane est une construction éphémère, nomade, bâtie dans l’élan et le geste plus que dans le projet initial précis. Elle est créée à partir de matériaux récupérés, d’objets trouvés.
Proposer un atelier d’art-thérapie ou d’expression dans lequel des êtres humains vont se transformer c’est proposer de construire ensemble une cabane, une cabane où déployer un jeu très sérieux.
Entre nature et culture, entre soi et non-soi, entre avant et après, un peu en marge du monde mais au cœur du moment présent propice au changement, la cabane est comme l’atelier : l’espace de transition de soi à soi.
La construire est y jouer, y jouer est la transformer. Pour ce faire, la connaissance rationnelle est aussi conviée, intimement liée à la connaissance existentielle.
Espace de rêverie, la cabane est un lieu où l’on apprend la solitude nécessaire à la création de soi ainsi que le partage citoyen avec les partenaires de jeu.
La cabane est cave, grenier, jardin, autel, oubli, mystère, refuge, radeau. La cabane est le lieu même de la poïétique.
★ Editorial 2005 Présence et création
Toute démarche poïétique, est située en un moment présent bien particulier. Partenaires en relation, matériaux, culture environnante, cadre de la rencontre, vont donner forme à un champ relationnel et être habités et orientés par ce champ.
Cette rencontre des plus indéterminées est réalisée dans un espace et un temps spécifiques de co-création, exigeant une forte qualité de présence de la part des partenaires. Présence ouverte à ce qui est là devant nous et à ce qui n'est pas encore là, ni du monde, ni de l'autre, ni de soi-même. Présence au surgissement surprenant et mystérieux de l'existence.
L'art en thérapie est trop souvent utilisé comme un moyen privilégié pour traduire l'inconscient en mots visibles. Il est souvent utilisé comme moyen pour comprendre le passé et la structure psychique ou neurobiologique du créateur.
Nous sommes, quant à nous, intéressés par les potentiels d'ouverture de l'art, par les émergences qu'il apporte plutôt que par les résurgences qu'il permet, même si nous savons que celles-ci existent. C'est peut-être même en ces dimensions d'ouvroir que l'art est, à proprement parler, sensé pour l'être humain.
Abordé ici au travers de différents dispositifs et moyens expressifs et souvent dans une intermodalité riche de surprise, cette quête d'émergences nous conduit à des activités rêvantes réalisées dans l'entremonde de soi et de l'autre, du Je, du Tu et du Nous, des lointains intérieurs et des espaces externes; de ce que j'étais et de ce que je ne suis pas encore.
★ Editorial 2004 Résurgences - émergences
Toute démarche poïétique, nous le savons, est influencée par les matériaux utilisés et par les spécificités psychologiques, relationnelles et socio-culturelles des personnes qui entrent en création dans nos ateliers. Mais cette poïétique est aussi influencée par les particularités de l'animateur de l'atelier, thérapeute, passeur, éducateur ou accompagnant. Une recherche scientifique dont nous sommes en train d'achever la réalisation le démontre bien. Se former dans ce domaine nécessite des apprentissages dans ces trois axes.
La poïétique mobilise l'imagination du créateur et celle de l'accompagnant professionnel, mais elle mobilise aussi, et c'est central, les corps des partenaires en relation. "créer c'est faire" disait D.W.Winnicott. Percevoir le monde pour l'habiter n'est possible que par nos sens, soulignait M.Merleau-Ponty.
L'art en thérapie est trop souvent utilisé seulement comme moyen pour traduire l'inconscient en mots clairs et précis. Il est souvent utilisé comme moyen de comprendre le passé et la structure psychique du créateur. Nous sommes, quant à nous, intéressés par les potentiels d'ouverture de l'art, par les émergences qu'il apporte plutôt que par les résurgences qu'il permet, même si nous savons que celles-ci existent. C'est peut-être même en ces dimensions d'ouvroir qu'il est à proprement parler sensé pour l'être humain.
★ Editorial 2003 Corps et création
Toute démarche créatrice réalisée dans l'interface arts et thérapies mobilise l'imagination du créateur et celle de l'accompagnant professionnel; elle mobilise aussi des matériaux aux potentiels divers; mais elle mobilise également, et c'est central, les corps des partenaires en relation.
Ecrire, peindre, modeler, danser, jouer ne sont possible que par l'investissement corporel de nos liens au monde.
Le matériau utilisé pour l'expression a, lui aussi, du corps sous la pression de nos gestes sur lui, il résiste, il se joue de notre volonté, il oriente notre rêverie; son corps à lui est aussi présent que notre corps à nous.
Et l'œuvre qui prend forme, belle ou pas, significative ou banale, publique ou intime est aussi nantie d'un corps.
Comment notre existence peut-elle se déplier dans ces corps-à-corps continus ?
Par force ? Dans une relation de caresse ? Par obligation ? Par abandon ? Par prédation et dévoration ? Par enchantement réciproque ? En y marquant son passage et un sentiment de possession ? En se laissant transformer par ce rapport ? …
" Jouer c'est faire" nous répétait D.W.Winnicott, et faire c'est agir avec nos corps dans un temps, un lieu, une situation, une relation, un élan. La parole elle-même est acte corporel, rythme, vibration de l'air, de la gorge, de l'oreille avant que d'être véhicule de concepts..
★ Editorial 2002 Le jeu
le Jeu est cette activité rêvante réalisée/inventée dans l'entremonde de soi et de l'autre, du Je, du Tu et du Nous, des lointains intérieurs et des espaces externes inaccessibles. Enfant, lorsque tout va bien, l'on s'y adonne avec tout le sérieux qu'il mérite, adulte, la plupart du temps, on l'oublie dans ses formes les plus libres. Il est pourtant au centre des déploiements créateurs.
Heureux celui qui sait encore mobiliser son enfance ludique et sa curiosité !
Juste assez réglé pour être à l'écart du quotidien, à la parenthèse du monde, juste pas trop réglé pour faciliter l'émergence créatrice, le Jeu est ce jardin extraordinaire où corps, émotion, affect, relation plongent leurs racines.
Que l'on soit soignant, intervenant socio-culturel, art-thérapeute, poïéticien ou artiste, lorsqu'on s'adresse à d'autres humains, on tente souvent de proposer un dispositif ludique, on en connaît la valeur. Une fois constitué, l'espace de jeu demande, comme tout bon outil, à être entretenu, graissé, exercé, fignolé année après année. C'est qu'il ne s'agit pas seulement de faire jouer les autres, il s'agit aussi d'y être soi-même actif, de former l'outil à sa main, de le patiner de sa propre ludicité.